“Ce quil reste de nos rêves” est un livre qui raconte Aaron Schwartz. Son auteure, Flore Vasseur, a eue la bonne idée de proposer une bande-annonce et le blog de Flore Vasseur ayant le bon goût d’être en licence CC BY-NC-ND 4.0, je peux vous la proposer ici en guise d’introduction.


(par contre, Flore Vasseur et son blog ne sont pas particulièrement portés sur l’accessibilité, ce qui, moi, m’embête donc…)

Si vous préférez, voici la transcription de sa vidéo

Images d’archives des journées télévisées annonçant la mort d’Arron Schwartz

  • Aaron Schwartz, 26 ans, est mort.
  • Le prodige de la technologie s’est suicidé dans son appartement de Brooklyn. Ils était mis en examen aux États-Unis pour fraude électronique et informatique.

Voix de Flore Vasseur

  • C’était comme une déflagration. Ce jour-là, j’ai senti qu’on perdait quelqu’un d’important.
  • Aaron Schwartz était un prodige, un génie, quelqu’un qui nous voulait libres. Un grand sage dans un corps d’enfant.
  • À 3 ans, il savait lire, à 8 ans, il savait coder, à 14 ans, il travaillait déjà avec les pionniers de l’internet.
  • Il était convaincu que la technologie allait redistribuer le pouvoir. Il la programmait.
  • Les autorités américaines l’ont broyé. Aaron misait sur notre intelligence, notre désir de nous élever. Il militait pour la démocratie, la connaissance, la liberté d’expression…
  • Est-ce pour cela qu’il était si dangereux ? C’est comme si sa disparition avait sonné le top départ.
  • Ou le top de fin. Mort, Aaron est le message.
  • J’ai voulu le comprendre, j’ai voulu l’écrire.

Voix off

Ce qu’il reste de nos rêves, un roman de Flore Vasseur aux éditions des équateurs, en librairie le 9 janvier 2019


Qui était Aaron Schwartz ?

Aaron était « The Internet’s own boy », l’enfant prodige de l’internet. Il avait appris à coder à l’âge de 8 ans, avait imaginé une encyclopédie collaborative à 13 ans, avait participé à l’invention du format RSS à 14 ans. À 15 ans, en 2002, il a contribué au lancement des licences Creatives Commons qui permettent aux créateurs de tous types de contenus de distribuer librement leurs créations.

Aaron vouait sa vie à la défense de la liberté d’expression, au partage et à la circulation libre des savoirs, à l’accès universel à la connaissance et à la culture. Avant tout le monde, il avait perçu qu’internet, cette nouvelle frontière et lieu de toutes les libertés, serait détourné en faveur du profit et de l’asservissement des masses. Il voulait le défendre de la mainmise du marché et de son utilisation comme outil de surveillance à l’échelle planétaire.

Hacker engagé, activiste charismatique, Aaron refusait la mise hors-la-loi de Wikileaks, soutenait les lanceurs d’alertes et s’opposait aux premières tentatives de censure du web aux États-Unis. Pour cela, il sera poursuivi, certains disent « harcelé », par le FBI et finira par se suicider à l’âge de 26 ans.

Voici la réaction de Tim Berners Lee (l’un des inventeur du World Wide Web) à l’annonce de sa mort :

Biographie ou enquête ?

“Ce quil reste de nos rêves” est un peu des deux évidemment, voire aussi un soupçon de road-trip. Flore Vasseur est visiblement subjuguée par la personnalité fascinante d’Aaron (qui ne le serait pas ?). Chapitre après chapitre, de Chicago à Moscou, de Cambridge à New-York, elle va à sa rencontre par l’intermédiaire de ses proches (ses parents, ses mentors, sa petite amie…). Son enquête a duré 4 ans et l’a transformée en « Chasseuse de fantôme ». Avec « Ce qu’il reste nos rêves », elle réussit à lui rendre un vibrant hommage, sensible et poignant, mais elle réussit surtout à l’incarner pour nous, ses lecteurs.

Aaron a eu une influence décisive, sur tant de sujets et sur tant de personnes. Voici, par exemple le témoignage de Jim (qui a été le professeur d’Aaron pendant des années) 

  • Il a changé votre vie ?
  • De tellement de manières, vous n’avez pas idée.

Le même Jim, en son temps, avait révélé à Aaron le secret de la Princesse Leia :

Prends ton cœur brisé et fais-en quelque chose de beau.

C’est exactement ce que Flore Vasseur a fait en écrivant “Ce qu’il reste de nos rêves”.

Une lecture qui pousse à la réflexion

Pour ma part, j’ai rarement autant surligné et annoté un livre… J’ai sélectionné quelques-uns de ces passages que je vous propose ici.

Barack Obama

J’ai découvert une facette de Barack Obama que je ne connaissais pas. Sans-doute avais-je juste choisi de ne pas la connaitre, de l’ignorer ? Il était pourtant aux commandes lors des premières tentatives de censure du web, il a choisi de poursuivre Chelsea Manning, de pourchasser Julian Assange, de menacer Edward Snowden…

Sous son règne, l’Amérique a broyé celles et ceux qui doutaient. \[…\] une tyrannie soft, bon teint

La Silicon Valley soutenait hier Obama, et s’offusque aujourd’hui de l’élection de Trump… mais c’est bien Obama qui mis en place les conditions qui ont permis la victoire de Trump.

L’élection de Trump effondre la Silicon Valley car elle la démasque

Aaron s’est suicidé à cause de son procès à venir… mais le MIT avait retiré sa plainte. C’était les États-Unis qui l’attaquaient, avec la bénédiction de Barack Obama.

L’accès universel à la connaissance

Sans connaissances, il n’y a pas de libertés

L'accès à la connaissance est au cœur des luttes, la formulation même de nos pensées la dernière des libertés.
  • La science, la connaissance était - est ! - un bien commun, comme l'eau et l'air. Elle devait être en accès libre. Au fond, c'est le combat de sa vie. Sans elle, l'humanité rentrait dans une sorte d'obsolescence programmée.
  • Nous y sommes, non ?

Code is law ?

“Code is law”, un article de Larry Lessing publié en 1997 dans la “Harvard Business Review”. Larry avait vu venir, il savait que le commerce et l’argent gagneraient, qu’il était important de se battre pour protéger les libertés.

La loi doit protéger les individus contre les abus de pouvoir, comme le code doit protéger les internautes des formes. Et non l'inverse. Le code fait loi car lui seul détermine s'il est facile ou non de protéger sa vie privée ou de censurer la parole. Il a un impact sur qui peut voir quoi ou sur ce qui est surveillé.

L’internet marchand contre l’internet citoyen

Il ne peut y avoir un internet marchand d’un coté, un internet citoyen de l’autre.. Les deux sont liés. Il faut refuser la marchandisation à l’extrême du web comme de nos données, et se battre pour nos libertés car ces sont les 2 facettes d’une seule et même réalité :

Obsédés par la peur dé déclassement économique, nous ne percevons pas le délabrement démocratique. Aucun ressenti. L'effritement d'un objet, sa disparition sont visibles. Celle de la liberté, sans douleur. Surtout si, en échange, vous recevez une sucette gratuite et hallucinogène.
  • On s’est fait pirater, souffle Jim.
  • Qui ?
  • Nous ! Les citoyens !
l'énorme entreprise d'atomisation sociale qu'est devenu Internet aux mains des intérêts privés
La NSA, la surveillance de masse sont simplement les symptômes d'un système corrompu jusqu'à l'os

L’économie de marché et l’état d’urgence ont accouchés d’un marché de plus de cent milliards par an. Nous sommes dans l’ère du “capitalisme de la surveillance”

Cash is king ?

Non, ce n’est pas une fatalité. La Déclaration d’indépendance du cyberespace de John Perry Barlow a plus de 20 ans. Elle a influencé Aaron Schwartz. Elle est toujours d’actualité.

Gouvernements du monde industriel, vous, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l'esprit. Au nom du futur, je vous demande, à vous du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons.
Je déclare l'espace social global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer

En 2016, j’avais commis un billet pour ses 20 ans.

Les algorithmes, Facebook, Google…

Aaron avait déjà démasqué Facebook et analysé avec justesse le problème central que pose les réseaux sociaux.

Flattant ma paranoïa, il m’enferme dans mes croyances, me conforte, au chaud, dans ma chambre d’écho

Les algorithmes de Google ne posent pas les même problèmes, mais s’attaquent tout autant à notre libre-arbitre

Google capte l'intelligence mondiale pour accoucher de l'algorithme parfait, celui qui nous fera acheter à tous les coups et nous vendra tout à fait. C'est l'ultime entreprise de docilité. Aaron préfère dormir dans les placards et se mettre au service du monde.

Reprendre le contrôle sur nos contenus

Aux algorithmes, Aaron oppose les blogs, la création de contenus par tous… et, évidemment, la syndication et la curation de contenus.

C’est la personnalisation choisie, l’exact inverse de l’algorithme, qui décide pour eux. Pour nous.

En 2002, Aaron créait son blog Raw Thoughts (il avait 14 ans) et écrivait ceci :

Je ne considère par cela écrire, mais penser. \[...\] J'aime m'entrainer à exprimer mes idées. Ce blog, fondamentalement n'est pas pour vous. Je suis désolé.

Mais faites attention, les effets secondaires ne sont pas neutres ?

... S'intéresser au monde a des effets secondaires terribles. Ce n'est pas tant ce que vous apprenez. Mais cela vous laisse bien seul.

Creatives commons ?

Voici comment Larry Lessig explique aux journalistes ce que sont les « Creatives Commons » lors de leur lancement :

Les fournisseurs de contenu ont lancé une guerre pour protéger un modèle économique du siècle dernier. Ils sont parvenus jusque-là à stopper l’innovation. Ils ont convaincu le monde qu’il y avait l’_American way of life_ d’un côté, l’anarchie et le communisme de l’autre. Ils gagnent parce que le choix est simple. Mais il y a maintenant quelque chose d’autre : Internet. Voici les licences libres qui permettront aux créateurs de protéger certains pans de leur travail. Je vous présente notre directeur technique qui va vous expliquer le fonctionnement…

Et voici ce qu’il réponds aux journalistes s’interrogeant sur le choix d’Aaron (qui avait alors 14 ans)

  • Il faut être fou pour confier un truc pareil à un enfant !
  • Il faudrait être fou pour se passer d’un génie pareil, la tacle-t-il sans se retourner

Pourquoi ça doit s’appliquer à la recherche ?

Aaron l’exprime comme cela :

Le partage n'est pas immoral, c'est un impératif moral

En 2008, Aaron a rédigé l’Open Access Guerilla Manifesto pour défendre et appeler au partage :

Contraindre les universitaires à débourser de l'argent pour lire le travail de leurs collègues ? Numériser des bibliothèques entières mais ne permettre qu'aux employés de Google de les lire ? Fournir des articles scientifiques aux chercheurs de plus grandes universités des pays riches, mais pas aux enfants des pays du Sud ? C'est scandaleux et inacceptable.
Nous avons besoin de récolter l'information où qu'elle soit stockée, d'en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l'ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données et les placer sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre-accès à la connaissance.

C’est de la désobéissance civique, non ? Oui.

La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes. Il est temps de sortir de l'ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civique, d'affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique.

Alors, tout est foutu ?

Ce livre rends justice à Aaron, il est donc soucvent particulièrement pessimiste… à raison ?

Ce livre, c'est Aaron par ceux qui l'aiment. Ceux qui le détestent ont déjà gagné. Tout raflé. Tout acheté.

Mais il n’est pas interdit de garder espoir. D’autres continuent de se battre, et continuent d’espérer. Larry Lessig, par exemple :

Je choisis l'espoir plutôt que la mort ou la conspiration

D’ailleurs, Aaron lui-même pensait qu’il nous appartient à nous, de changer le monde s’il ne nous satisfait pas.

Le Net sera ce que nous en faisons. C'est à nous de décider. \[...\] Cela dépends de nous de changer le monde.

Quelques réalisations d’Aaron

  • Aaron a créé l’Open Library avec Brewster Kahle. Elle contient aujourd’hui plus de 20 millions d’œuvres
  • Aaron a créé Reddit avec Steve Huffman et Alexis Ohanian. C’est aujourd’hui le 6e site le plus visité au monde
  • Son Manifeste de la Guérilla pour le Libre Accès est aujourd’hui traduit en 25 langues.
  • 1,4 millierds d’œuvres utilisent aujourd’hui les licences Creatives Commons
  • En 2013, Aaron avait créé Secure Drop pour permettre aux journalistes du New Yorker de travailler et de communiquer de manière sécurisée. Il est toujours utilisé par le New Yorker mais aussi Wall Street Journal, le Guardian, le Washington Post…

Quoi de neuf sur ses combats ?

  • Bradley, devenue Chelsea Manning, a été gracié par Barak Obama au dernier jour de sa présidence.
  • Edward Snowden est toujours réfugié en Russie. Le jour de l’investiture de Donald Trump, Vladimir Poutine a renouvelle son permis de résidence jusqu’en 2020.
  • Les tentatives de révision du Computer Fraud and Abuse Act (CFAA), cette loi qui a permis d’incriminer Aaron Schwartz, n’ont pas abouti.
  • En hommage à Aaron Schwartz, plusieurs scientifiques ont publié leurs travaux en accès libre.
  • Une grande partie des documents de l’éditeur JSTOR a été mise en ligne sur le site de partage de fichier The Pirate Bay
  • En octobre 2013, deux parlementaires proches d’Aaron (Zoe Lofgren et Ron Wyden) ont déposé au congrès le projet de loi dite Fair Access to Science and Technology Research. Approuvée en juillet 2015, elle contraint les plus grosses agences fédérales à rendre publics et gratuits les résultats et données associés à des recherches financées par leur soins.
  • Depuis janvier 2017, la fondation Bill et Melinda Gates conditionne ses financements de recherche à la publication gratuite des résultats.

En conclusion

Vous l’aurez compris, j’ai été particulièrement ému par cette lecture. Je ne peux qu’encourager toute personne avec un minimum de conscience et d’éthique à le lire, à l’offrir, à le partager, à le commenter.